Introduction :
C’est dans les ruelles de la ville ancienne de Fès qu’A.Sefrioui tisse la diégèse de son
roman La Boîte à Merveilles, un témoignage authentique de la réalité marocaine dans les
années 20, à travers le regard d’un enfant âgé de six ans. L’ossature du roman est constituée d’opposition entre deux réalités : d’abord, la réalité de la société marocaine avec toutes ses particularités. ensuite, la réalité de l’enfant, et du regard qu’il porte sur la société, cette réalité qui semble le mettre mal à l’aise et le pousse à la rêverie, et à contempler sa « Boîte à merveilles ». Ce chapitre fera l’objet d’une description de l’œuvre en mettant en exergue ces deux réalités contradictoires. Il sera donc axé sur l’étude des caractéristiques de la tradition, notamment la tradition orale et entamera sur la structure, les thèmes, les personnages et l’axe spatio-temporel
A. Les aspects de la tradition orale dans la Boîte à Merveilles :
L’univers romanesque de A. Sefrioui est peuplé de gens simples, parmi lesquels il y a le narrateur : Le récit commence par la voix du narrateur – enfant, qui parle de ses petit camarades « Mes petits camarades de l’école se contentaient du visible…ils aimaient aussi jouer à la bataille, se prendre à la gorge avec des airs d’assassin, crier pour imiter la voix de leur père, s’insulter pour imiter la voix du voisin, commander pour imiter le maître d’école.
Moi, je ne voulais rien imiter, je voulais connaître». Le narrateur semble s’ériger en être différent. C’est à travers cette narration que le roman La Boîte à merveilles s’apparente au conte beaucoup plus qu’au roman. Il y a, en outre, plusieurs personnages qui incarnent la figure du conteur, à titre d’exemple : les histoires de Abdellah le conteur qui vont marquer le roman, surtout le personnage central qui sera fasciné par la forte personnalité de cet homme. « Mon père qui ne parlait pas souvent consacra une soirée entière à entretenir ma mère d’Abdellah et de ses histoires. Le récit de mon père excita mon imagination, m’obséda
durant toute mon enfance… ». L’emprunt de Sefrioui à la littérature orale ne se limite pas à l’intrusion du conteur, il y a aussi le pouvoir de narrer de « Rahma ». Si on s’approche de la demeure de la famille du
narrateur, on pourra concrétiser cet aspect. « Rahma » habitait au premier étage avec sa famille, Lalla Kanza, la voyante habitait au rez-de-chaussée, la famille de l’auteur avec la famille de Fatima Bziouya partageaient le second étage, la forme circulaire de la maison collective ressemble à la forme circulaire d’une Halqa.
On retrouve donc, les trois éléments essentiels d’un acte de communication orale.
• Le conteur : (Rahma)
• Les auditeurs : (les femmes et les enfants de Dar Chouafa)
• Objet de la discussion : dispute de Khadija avec son vieil époux.
Rahma ne se contente pas de raconter, elle joue admirablement sur la curiosité de son
public, les auditeurs veulent connaître la suite de l’histoire.
« Raconte Rahma, raconte lui demandèrent toutes les femmes d’une seule voix »
B. Les personnages :
Je : c’est l’auteur- narrateur- personnage principal, il est le fils de Lalla Zoubida et de Maâlem Abdeslem. Il s’appelle Sidi Mohammed.
La chouaffa : c’est la principale locataire de Dar Chouaffa et on l’appelle tante Kanza.
Driss el Aouad : c’est un fabriquant de charrues. Il est l’époux de Rahma. Il a une fille âgée de sept ans qui s’appelle Zineb. Il habite le premier étage de Dar Chouaffa.
Fatma Bziouya : elle partage avec la famille du narrateur le deuxième étage, son mari Allal est jardinier de son état.
Abdallah : il est épicier. Le narrateur lui attribue toutes les histoires merveilleuses qu’il a eu l’occasion d’entendre.
Le fqih du Msid : un grand maigre à barbe noire, dont les yeux lançaient des flammes de colère et qui habitait rue Jiaf.
Lalla Fatouma : La caissière du bain maure.
Lalla Aïcha : une ancienne voisine de Lalla Zoubida, c’est une Chérif qui a su rester digne malgré les revers du sort et dont la connaissance flottait l’orgueil de lalla zoubida.
Driss le teigneux : fidèle serviteur de Maâlem Abdeslam, il garnissait les canettes et faisait les commissions.
Allal le chaufournier : il habite à Kalklyine et il est marié à Khadija la sœur de Rahma :
Le clan des mendiants et leur chef : ils ont été conviés au repas pour les pauvres, organisé par Rahma pour remercier Dieu de lui avoir rendu sa fille Zineb.
Moulay Larbi Alaoui : c’est le mari de Lalla Aïcha. Il est babouchier.
Abdenbi : une mauvaise langue qui affirme avoir vu Abdallah entrer dans un vulgaire
fandouk.
Lahbib : Il raconte avoir vu disparaître mystérieusement Abdallah dans une Zaouîa.
le boutiquier : marchand à la Kissaria qui vendit à lalla zoubida le gilet rouge destiné à Sidi- Mohamed pour la fête de l’Achoura.
El Haj Ali Lamrani : marchand de thé du quartier Sagha et père de Sidi Ahmed qui va épouser la fille de Sidi Omar le notaire.
Si Abderrhaman : le coiffeur du père du narrateur et le père de Sidi Ahmed qui va épouser la fille de Sidi Omar le notaire.
Maalem Bnou Achir : un autre coiffeur qui occupe la boutique en vis-à-vis de celle de Si Abderrhaman.
Maâlem Abdeslem : le nom du père du narrateur.
Oncle Hammad : un client de Si Abderrahman qui souffre de plusieurs maux et auquel le coiffeur recommande une recette qu’il prétend très efficace.
Sidi El Arafi : un voyant aveugle recommandé à lalla Aïcha par Khodoy lalaouia qui affirme que tout ce qu’il a prédit s’est réalisé point par point.
Hammoussa : le condisciple du narrateur au Msid et surnommé ainsi parce qu’il est le plus petit de taille. Son vrai nom est Azzouz Berrada.
Lalla Khadija : la femme de l’oncle Othman.
La vieille M’Barka : l’ancienne esclave de l’oncle Othman.
Allal El Yacoubi : envoyé par le fqih pour s’enquérir de sidi Mohamed.
Salama : marieuse professionnelle.
Le messager de Maalem Abdeslem : Il vient rapporter des vivres et de l’argent à Lalla Zoubida.
La boîte à merveilles : Le véritable ami du narrateur. Elle contenait des boules de verre, des anneaux de cuivre, un minuscule cadenas sans clef, des clous à tête dorée, des encriers vides, des boutons décorés, des boutons sans décor, un cabochon de verre à facettes offert par Rahma et une chaînette de cuivre rangée de vert de gris offerte par
Lalla Zoubida et volée par le chat de Zineb.
C. Structure de l’œuvre, schéma narratif, temps et espace :
a. Structure de l’œuvre :
L’œuvre est scindée sur 12 chapitres ; on peut y déceler deux mouvements distincts :
le premier mouvement est un mouvement linéaire, il se rattache au déroulement des événements et leur ancrage spatio-temporel, ce sont toutes les représentations de la vie traditionnelle.
Le deuxième mouvement met en exergue l’opposition du narrateur- enfant avec le monde des adultes.
Le découpage de l’œuvre peut être fait de la sorte :
1) La dispute de Lalla Zoubida avec Rahma,
2) La première scolarité de Sidi Mohamed,
3) L’histoire de Abdallah le conteur,
4) La mort et l’enterrement de Sidi Mohamed Ben Taher,
5) L’histoire de l’oncle Othman, racontée par Rahma,
6) L’histoire de Moulay Larbi et son associé,
7) Le remariage de Moulay Larbi,
8) L’incident des bijoux
9) Et le départ du père.
A travers ce découpage, il y a une thématique qui jaillit sans cesse. C’est l’influence de cet environnement sur la personnalité de Sidi Mohamed, ce qui suggère une opposition profonde entre l’univers de l’enfant et le monde des adultes, caractérisé par :
o La violence verbale dans « La dispute de Lalla Zoubida avec Rahma »,
o La violence corporelle dans « la première scolarité de Sidi Mohamed »,
o L’escroquerie dans « l’histoire de Moulay Larbi avec son associé,
o La naïveté des parents dans « l’incident des bijoux »
o et l’hypocrisie dans « la mort de Sidi Mohamed Boutahar ».
b. Schéma narratif du texte :
Etat initial : l’auteur – narrateur – personnage vit avec ses parents.
Force transformatrice : Le père du narrateur décide d’acheter les bracelets « Lune-Soleil » à sa femme.
Dynamique de l’action : Les péripéties de la Joutéya, l’achat des bracelets et la perte du capital de son affaire par le père. Force résolutive : La décision du père à travailler aux environs de Fès pour se faire un capital et monter de nouveau son affaire.
Etat final : le retour triomphant du père et la famille de nouveau réunie.
c. Temps et espaces :
1) Espace
Dans la Boîte à merveilles de A.Sefrioui, il y a deux types d’espace :
1- Un espace réel.
2- Un espace virtuel.
1- l’espace réel :
C’est l’espace dans lequel évolue le personnage, ce sont les différents lieux évoqués qui peuvent renseigner sur l’état d’esprit du héros et la personnalité profonde de l’auteur.
• Dar choufa : c’est la maison collective, nombreux locataires occupant des espaces réduits, parfois une pièce pour toute une famille, la cuisine se fait parfois sur le palier, la lessive dans le patio. La maison accueille beaucoup de monde, amies et voisines, invitées des locataires :
-il y a consultation de la voyante.
-Clan des mendiants.
L’espace trop restreint s’oppose à toute intimité, un espace caractérisé de beaucoup d’agitation rend toute cohabitation difficile, ce qui rend chez le garçon la solitude et le manque de liberté l’incitant à s’évader dans un monde sans frontière.
• le bain maure : un lieu clos et fermé, très chaud, s’oppose à la pudeur et à ses croyances religieuses.
• Msid : (ou l’école coranique) institution traditionnelle dispensant le savoir religieux, devient parfois un lieu de « Souffrance », la fin du cours constitue un moment de bonheur, une liberté, une délivrance d’une activité forcée et ouvre la voie à l’univers magique de « la boîte à merveille ». ce même lieu prend l’allure d’un endroit joyeux quand le cours caractérisé par la monotonie est rompu par des tâches plus attrayantes
telles que la décoration de l’école ou sa préparation pour les fêtes.
• Zaouïa (Mausolées, sanctuaire, marabout…)
• L’enfant : vit entre un père souvent absent et une mère superstitieuse, fidèle, adepte des marabouts.
2- l’espace virtuel :
C’est l’espace imaginaire de l’enfant, qui se traduit soit à son recours à la réflexion et à l’imagination ou bien à s’évader vers sa boîte à merveilles.
2) Temps :
o Du chapitre I au chapitre VII, le narrateur entasse les événements qui se sont déroulés en 32 jours.
o Le chapitre VIII et la moitié du chapitre IX se déroulent sur un récit en quatre jours.
o La deuxième moitié du chapitre IX jusqu’un chapitre XII se déroulent sur un mois. Cette inégale répartition des événements sur l’espace romanesque rend compte de la difficulté de concilier le temps réel et le temps romanesque parce qu’il y a la voix du narrateur adulte et celle du narrateur enfant. L’ancrage du roman autobiographique se fait autour de la fête de l’Achoura. En ce qui concerne les temps verbaux : il y’a prédominance du présent, surtout dans l’incipit : « le soir, quand tous donnent, les riches dans leurs chaudes couvertures, les pauvres sur les marches des boutiques…moi, je ne dors pas ».
La valeur du présent permet une actualisation dans le temps. Dans l’incipit, c’est A.Sefrioui qui parle, mais plus tard, c’est-à-dire, à partir de « nous habitons… » C’est le retour vers le narrateur- enfant et c’est à travers ses yeux que le récit est perçu.